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Pourquoi réfléchir ?

La capacité de réfléchir est ce qui distingue le mieux l'homme des autres animaux. C'est cette capacité qui permet à notre civilisation de se développer, en bien et en mal. On peut donc être en droit de penser que chacun s'emploie à développer au mieux cette capacité, et que la tendance naturelle de notre civilisation dite évoluée soit une démocratisation de la réflexion, qu'elle soit scientifique, philosophique, ou artistique, et que chacun y apporte sa contribution, même modeste.

Il n'en est malheureusement rien. L'augmentation indéniable du niveau de l'enseignement a certes provoqué un déplacement des métiers manuels vers les métiers intellectuels. Mais ce déplacement ne s'est accompagné d'aucune prise de conscience collective des formidables possibilités du cerveau humain. Comment l'expliquer ?

En fait, il semblerait que la plupart des gens soient atteints de paresse intellectuelle. En effet, penser est fatigant, et on a trop souvent le réflexe de ne pas le faire lorsqu'on peut l'éviter, de la même manière que l'on prend l'ascenseur plutôt que l'escalier. Et s'il n'est souvent pas facile d'éviter la fatigue physique, les moyens de ne pas penser sont omniprésents, et gratuits.

Et en effet, pourquoi réfléchir lorsque tous se précipitent pour le faire à votre place, les politiques, les publicitaires, les journalistes? Pourquoi réfléchir lorsque vous pouvez vous asseoir devant votre téléviseur et recevoir passivement distraction et informations commentées, prédigérées ? Pourquoi réfléchir alors qu'on vous propose de répondre obligeamment à la question "que dois-je en penser" ?

Et en fait, cela arrange tout le monde que les gens ne réfléchissent pas. En premier lieu, les publicitaires, et les industriels derrière eux, qui cherchent à faire consommer les gens; la réflexion est souvent synonyme de baisse de consommation: si les gens commencent à se demander de quoi ils ont réellement besoin avant d'acheter, l'économie risque d'en prendre un coup ! Mieux vaut acheter d'abord et penser ensuite (ou jamais), et si l'achat pose des problèmes de ressources financières, pas d'inquiétude, les organismes de crédit sont là pour pallier ce problème, quitte à surendetter leurs clients.

Les hommes politiques, eux aussi, ne recherchent pas la réflexion chez leurs électeurs. Le vote doit se faire sur la bonne mine du candidat, la sympathie qu'il inspire, les petites phrases qu'il prononce et un programme simpliste pouvant être résumé en quelques mots. L'électeur est considéré par l'homme politique comme un idiot et donc traité comme tel. Combien de fois des initiatives intelligentes, mais non conformistes ont été abandonnées au motif que "les électeurs ne comprendraient pas" ? Et que penser des affichettes électorales proclamant "Votez Untel", sans autre explication, affichettes collées par dizaines sur les murs comme si leur répétition constituait à elle seule un argument ?

Notre société est aujourd'hui basée sur le spectacle, variétés télévisées, football, jeux et feuilletons stupides, destinés à combler la vacuité des esprits avant que la nature, qui a horreur du vide, s'en charge en poussant les gens à la réflexion. Et lorsque les gens commencent à réfléchir, on ne sait malheureusement pas où cela peut conduire, mais sûrement pas là où le souhaitent nos dirigeants, officiels ou non.

En fait, cette forme d'aliénation du citoyen est beaucoup plus efficace qu'une dictature ; dans cette dernière, les gens sont conscients d'être opprimés, réfléchissent en secret, agissent positivement, et bien souvent, la dictature s'effondre. Ce genre de risque n'existe pas en démocratie où les citoyens participent eux-mêmes à leur aliénation. Bien sûr, les gouvernements changent à l'occasion d'élection, mais les alternances politiques font elles-mêmes partie du spectacle, avec des adversaires républicains dont la politique diffère plus sur la forme que sur le fond, un ou deux "méchants" pour servir de repoussoir, quelques candidats folkloriques pour animer un peu le débat ; les candidats n'entrant pas dans ce schéma bien établi sont priés d'aller se faire voir ailleurs (Coluche en 1981 par exemple), et de toutes façons, leur discours aura du mal à toucher une population depuis longtemps conditionnée par la pensée unique seule diffusée par les médias.

Pour toutes ces raisons, il est urgent de secouer cette léthargie confortable, et de commencer à réfléchir par soi-même. De nombreux ouvrages existent pour alimenter cette réflexion, et c'est uniquement à cette condition qu'on pourra réellement profiter pleinement des progrès de notre société, et bien entendu de la démocratie, qui n'est jamais que le reflet de ses électeurs.

Hervé Jamet
Août 2003


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